La catastrophe naturelle qui a touché la région de Valence a déposé sur les plages touristiques 60 000 tonnes de déchets. Objectif : être prêt pour la saison touristique. Malgré les discours rassurants, la tâche est immense et des problèmes non résolus risquent de refaire surface.
Le sable est recouvert de détritus, de roseaux et de troncs d’arbres. Sur le parking, Marina gare sa BMW rouge. Vêtue d’un léger gilet blanc, elle se dirige vers une montagne de petit bois. « Je cherche des branches pour me chauffer », explique-t-elle, munie d’un sac aux motifs à carreaux. Marina a perdu ses vêtements, ses provisions et la plupart de ses appareils électroménagers dans les inondations qui ont ravagé la région espagnole de Valence, fin octobre 2024. Par chance, ses deux chiens ont survécu et son poêle fonctionne toujours. « Je contribue au nettoyage des plages à mon échelle, sourit-elle, c’est peu mais ça a le mérite d’exister ».
À quelques pas, les monticules s’accumulent sur la plage de la Garrofera, au sud de Valence. Au sol, une tong abandonnée, un flacon de shampoing, une bouteille d’eau, une canette de bière écrasée. Les alarmes des tracteurs retentissent et troublent le ressac des vagues. Le bras orange d’une pelleteuse s’abaisse. Sous l’action des vérins, le godet se charge de longues tiges de roseaux, s’élève et relâche son contenu dans la benne d’un camion blanc. L’action se répète une dizaine de fois, avant que le poids lourd ne se dirige vers le parking où les détritus sont répartis par catégories. Les troncs d’arbres d’un côté, le petit bois de l’autre et plus loin le plastique. Les traces laissées par les engins viennent strier le sable fin et les petits cailloux qui peuplent ces étendues habituées à recevoir les touristes à la haute saison. Porté par la brise, le drapeau rouge d’une chaise de secourisme flotte. Sous les pas des promeneurs, le roseau échoué craque. Poutres et déchets freinent la démarche des flâneurs.
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60 000 tonnes de déchets
Le 29 octobre 2024, la violente crue de la Dana a frappé la région de Valence. Les inondations ont emporté vers la mer quantité d’objets, de végétaux et de débris. Quarante kilomètres de côtes ont offert des images de dévastation. Du nord au sud, les roseaux et les détritus ont recouvert le sable. Dès le début du mois de novembre, les autorités ont fait appel à des entreprises pour procéder au nettoyage. La SAV et la Fovasa ont répondu présent. Les efforts se sont concentrés en priorité sur les plages les plus fréquentées, comme celles du Pinedo et du Perellonet. Puis les actions se sont déployées sur les zones situées en aval de la réserve naturelle de l’Albufera, comme à la Garrofera ou à El Saler.
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© Matthieu Haut / Reportierra.
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© Matthieu Haut / Reportierra.
À distance du ballet incessant des machines, Miguel* consulte son téléphone dans sa camionnette blanche. Salarié de la Fovasa, il supervise le chantier de la plage de la Garrofera. Au passage d’un tracteur, il ouvre sa portière et engage une discussion animée pour tenter de supplanter le vrombissement du moteur. L’employé se donne encore trois semaines à lui et à ses ouvriers pour achever leur mission. Plus de 12 500 tonnes de déchets avaient été extraites fin janvier. Au total, la maire de Valence María José Catalá a affiché sa volonté d’en retirer 60 000. « On travaille tous les jours de la semaine dès l’aube, et ce même le samedi matin », se vante Miguel, tout en faisant un signe du bras à un engin pour qu’il change de direction. La taille des appareils autorisés à accéder à la plage est limitée. Ces espaces sont protégés et tout l’enjeu est de réussir à ôter les résidus sans enlever trop de sable. Une fois les débris collectés, ils sont acheminés dans des centres où la plupart sont incinérés.
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Au Pinedo, juste au sud de Valence, les travaux sont presque terminés. Dans leur uniforme orange siglé au logo de la SAV, Pablo et Vicente se penchent et ramassent les branches une à une. « On met de côté les objets les plus volumineux pour éviter que la herse du tracteur ne s’abîme », glisse Vicente. Alors qu’il rejoint habituellement les plages à la mi-mars, cette année sa saison a démarré en janvier. Originaire de Paiporta, il dédie tout son temps libre à nettoyer sa maison, dont le sous-sol a été inondé par la boue. « On fait ça en famille, avec ma fille et ma femme », ajoute-t-il en ôtant sa casquette beige, la main sur son crâne dégarni. Débutées le 11 janvier, les opérations sur les plages progressent dans « les délais impartis » et seront achevées début mars pour les célèbres fêtes valenciennes de las Fallas et la Semaine Sainte en avril, indique la mairie de Valence sur son site Internet, faisant preuve d’un certain optimisme.
« On ne voyait plus l’horizon »
Un objectif touristique que souhaite nuancer Raul Merida, secrétaire autonome à l’environnement de la Generalitat, le gouvernement de la communauté de Valence. Dans son bureau au quatrième étage de la tour vitrée du siège de son ministère, il tient à rappeler que le nettoyage répond à un « impératif de santé publique avant tout ». Montre imposante au poignet, gilet bleu ouvert sur une chemise blanche, il détaille les étapes du plan qui a été mis en place sur une feuille de papier, délicatement posée sur une table en verre. « C’était important de vite se mobiliser pour retirer les roseaux car ces végétaux accumulent de l’humidité, ce qui peut se révéler dangereux pour l’écosystème. » Habitué des réseaux sociaux et des médias, il renvoie systématiquement à sa page Instagram où il aime se mettre en scène, les pieds dans la terre, aux côtés des habitants touchés par la Dana. Pour Raul Merida, il fallait laver les plages pour que « les touristes reviennent à Valence et voient que c’est toujours la même ville, aussi belle et aussi charmante qu’elle l’a toujours été. »
Les conséquences de la pollution du bord de mer sur le tourisme semblent limitées, comme en témoignent les restaurateurs de la côte. Sur la plage du Pinedo baignée par le soleil, la terrasse du restaurant Maremar est comble en ce dimanche midi de février. Les buttes de roseaux déposées sur le sable ne paraissent pas perturber les clients. « Début janvier, il y en avait tellement qu’on ne voyait pas l’horizon », explique le chef de rang. De temps en temps, les nettoyeurs viennent encore mais rien de comparable à la mobilisation des mois précédents. Au sein des serveurs, certains ont perdu des membres de leur famille, d’autres ont vu leur maison détruite. Quant au business, il ne s’est pas effondré. Si la brasserie a fermé ses portes pendant deux semaines, le chiffre d’affaires n’a pas dégringolé et le directeur se montre optimiste face à l’arrivée de la prochaine saison. Un espoir que confirment les chiffres du tourisme de l’année dernière. Le nombre de vacanciers venus visiter la région de Valence a augmenté par rapport à 2023.
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« Ce sera comme Fukushima »
Avant le retour de la pleine saison, les habitants profitent déjà de la douceur du climat. Sur la promenade noire de monde, un couple de personnes âgées déambulent, des enfants jouent sur les derniers troncs d’arbres recrachés par les eaux de la catastrophe, une famille gare ses vélos. Casquette rutilante en laine vissée sur la tête, Isabel se rend chaque semaine à la mer. Originaire du Perello, au sud de Valence, cette retraitée salue la rapidité du nettoyage. « Les autorités ont fait un travail incroyable. Il y avait des roseaux partout, c’était une vraie porcherie ». À travers ses lunettes teintées, Isabel balaie la plage du regard. « Maintenant, ça a bien changé, on arrive à voir le sable », raconte-t-elle de sa voix fluette. La septuagénaire n’est guère étonnée de voir des bouts de plastique réapparaître de temps à autre. « La mer rejette tout ce qu’on lui envoie », reconnaît-elle dans un haussement d’épaules.
Face au grand port industriel sur lequel s’élèvent d’immenses grues, Francisco et Alberto ont planté leurs cannes à pêche dans les roseaux sur la digue. C’est la première fois qu’ils reviennent depuis la Dana. « Peut-être qu’il y a des déchets toxiques dans l’eau, mais de toute façon on relâche le poisson aussitôt », lance Alberto, originaire de Picassent, un village au sud de Valence.
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Du haut de son bureau de Generalitat, Raul Merida refuse de céder à de telles peurs. « La pollution n’est pas aussi importante que ce qu’on aurait pu imaginer, elle n’est pas préoccupante », cherche-t-il à convaincre. Les analyses menées par le Conseil Supérieur des Investigations Scientifiques sont en cours. La présence de microplastiques sera l’une des questions à laquelle l’enquête devra apporter une réponse. En ouvrant une bière, Alberto fait allusion au drame de la centrale nucléaire de Fukushima, survenu au Japon en 2011 : « Je suis certain que ce sera pareil pour nous. On se rendra compte dans une dizaine d’années de l’ampleur de la pollution et du danger que cela représente pour la pêche. »
* Le prénom a été modifié.