Le Bomba, le riz si cher au cœur des Valenciens

La variété de riz bomba, un petit grain rond utilisé notamment pour la paella est le riz star des familles valenciennes. Mais, fragile et difficile à produire, encore plus après les inondations qui ont touché les riziculteurs, il ne s’offre pas à toutes les bourses.

« Oh la bomba, c’est le riz du roi ! Il est unique, mais qu’est-ce qu’il est cher ! », s’exclame Valéria, les bras grand ouverts, la voix élevée, sa louche à la main. Responsable d’un stand de paellas au centre de Valence en Espagne, elle suspend son geste rien qu’en entendant le mot « bomba ». Ici, cette variété de riz résonne comme le Graal, aussi fameux que rare. « Nous achetons le riz rond classique en grande quantité au supermarché, nous regardons avant tout le prix », intervient Rosa, la fille de la gérante, une barquette de paella prête à être servie à la main. Comptez 1,79 euro le kilo pour le riz utilisé dans ce stand contre 12,20 euros le kilo pour la variété bomba. Soit un prix six fois supérieur.

Le marché central de Valence c’est 259 stands, un chiffre presque équivalent aux points de vente de paella dans la ville . © Camille Audiger / Reportierra.

Quelques pas plus loin, au cœur de l’agitation du marché central, cœur vibrant de la ville, une vingtaine de personnes s’affairent devant trois grandes poêles de paellas en vitrine. Du riz, partout ! Mais pas un grain de bomba. En plein service, entre deux commandes Paola, une des vendeuses confirme : « Cette variété est bien trop chère et nous craignons qu’elle le soit davantage avec le changement climatique. »

Sancho est responsable du restaurant El Paeller situé sur une des places les plus touristiques de Valence, la Plaza de la Virgen. Noyé dans les effluves de safran, une assiette tout droit sortie des cuisines à la main, Sancho fait état des variétés de riz qu’il utilise : « Pour la paella, nous cuisinons avec un riz rond classique, moins cher, car nous le produisons en plus grande quantité. Mais nous utilisons la variété bomba pour le risotto. »

Un riz rare pour les touristes, mais incontournable à la maison

Derrière une porte d’entrée étroite presque dissimulée, Carmen, une retraitée au dos courbé, déambule aux côtés de sa fille dans le musée du riz à Valence. Cet ancien moulin de la Serra était en activité jusqu’en 1970. Toutes les machines d’époque ont été conservées, témoignant du riche passé rizicole de la région. Voisine de ce lieu chargé d’histoire, Carmen en connaît chaque recoin. Bras dessus bras dessous avec sa fille, elle observe les engrenages et s’exclame, émue : « Oh, ça me rappelle des souvenirs… l’odeur farineuse et douce de la poudre de riz ! »

La variété de riz bomba, comme « Senia » et « Albufera », bénéficient de l’appellation d’origine protégée. © Camille Audiger / Reportierra.

Mauro Ponsoda, conservateur du musée, passionné par le riz, ouvre ses bras et tourne sur lui à 360 degrés : « Voici l’envers du décor ! » s’exclame-t-il. Au quatrième étage, il présente le nettoyeur de riz paddy, un grain à l’état brut. Puis au troisième, la décortiqueuse. Il connaît le processus de production sur le bout des doigts : « Cette machine retire la coque externe du riz paddy et produit du riz brun. Lorsque nous savons qu’il y a du riz bomba, on baisse l’intensité des machines, notamment au décorticage et polissage car il est plus fragile. Un traitement trop agressif pourrait altérer ses qualités. Suivez-moi au deuxième. » D’un pas effréné, la visite continue : « Ici nous trouvons la blanchisseuse de riz, elle enlève le son et le germe du riz brun, le transformant en riz blanc », puis le produit fini apparaît au premier étage avec la polisseuse de riz et le trieur. Il poursuit à pas de charge au rez-de-chaussée, s’approche des bacs de riz et saisit délicatement une poignée du fameux bomba : « Vous voyez ce riz est particulier. Il a une forme ovale et comme je vous l’ai dit, il est traité avec une attention particulière. »

Carmen au rez-de-chaussée, l’oreille tendue, ajoute : « Il est particulier dans sa cuisson qui est dite grain par grain ». Après les dix à quinze minutes de cuisson prévues pour le riz, seule la variété bomba absorbe les liquides sans se désintégrer ou devenir pâteux. Les grains sont séparés les uns des autres. A l’inverse, le riz basmati, jasmin ou rond se transforme en purée ou forme des grumeaux.

Sur le point de franchir le seuil de la porte du musée, Carmen se retourne une dernière fois et clôture son propos : « Vous savez, ce riz, on le chérit. Il a survécu aux tempêtes et à l’histoire. Même s’il est cher, c’est l’importance de la culture valencienne qui prime. Et tant qu’on pourra le cuisiner, il ne disparaîtra pas. »

Une variété de riz à la culture fragile, sensible aux aléas climatiques.

Brise légère, odeur de terre humide, rizières à perte de vue, au cœur de l’Albufera, une zone humide située au sud de Valence, Javi Jiménez Romo débarque en quatre-quatre beige maculé de boue. Biologiste et coordinateur de la réserve de l’Albufera, tout de vert et marron vêtu, il se fond dans le décor. La variété de riz bomba commence ici. « Comme toutes les autres variétés, le cycle est le même, mais avec un suivi plus spécifique pour la variété bomba. Il a besoin de davantage de nutriments, donc on en disperse moins sur une parcelle », informe-t-il la main balayant les terres qui l’entourent. La densité de semis est de 200 kg par hectare pour la variété bomba contre 300 kg pour les autres variétés de riz. La production du bomba est donc moins importante. Il ajoute : « Cette variété est plus sensible aux mauvaises herbes donc on a besoin de bonnes pompes qui propagent des fongicides. C’est devenu un indispensable depuis les inondations du 29 octobre 2024. »

Selon un rapport de la mairie de Valence publié fin novembre, environ 120 milliards de litres d’eau ont pénétré dans l’Albufera entre le 29 octobre et le 5 novembre 2024. © Camille Audiger / Reportierra.

Sur place, Javi Jiménez Romo, ému par les conséquences de cette tempête visibles à l’oeil nu, décrit la situation en pointant le ruisseau à ses pieds : « Les canaux, comme le Barranco del Pollo, ont débordé, emportant avec eux des tonnes de déchets, regardez autour de vous … c’est désolant. » Il ajoute : « Aujourd’hui, malgré les opérations de nettoyage on ne sait pas si les terres seront prêtes à temps et surtout si le riz va pousser. Notre plus gros doute, c’est le riz bomba, extrêmement sensible aux aléas climatiques ». Alors que la récolte de l’année 2024 s’est déroulée sans encombre, le prochain cycle, qui débute en mai avec les semis de riz et s’achève en septembre avec la récolte, est en danger.

Javi Jimenez Romo, biologiste et coordinateur de la réserve naturelle de l’Albufera. © Camille Audiger / Reportierra

« Si le riz pousse, ce sera dans quel état ? »

Après un moment de silence et de désolation face aux dégâts, Javi Jiménez Romo montre les bâtiments au loin : « Vous voyez, ces bâtiments ce sont des usines. Avec les inondations, tous leurs produits chimiques sont remontés à la surface. Donc même si le riz pousse, ce sera dans quel état ? » Il répète plusieurs fois, puis continue : « Les normes d’inspection sont encore plus exigeantes et les technologies pour détecter les particules toujours plus pointues. » Une partie de la production risque d’être entièrement endommagée. Une autre pourrait ne pas passer les contrôles de qualité, ce qui diminuerait les quantités de produits à la vente et augmenterait les prix. Le riz bomba passerait de la rareté au luxe.