Le foot valencien joue la solidarité

Rejouer coûte que coûte : dans les semaines qui ont suivi les inondations, les clubs de la région de Valence se sont organisés pour permettre à leurs jeunes licenciés de continuer l’entraînement. Un élan collectif fondé sur l’entraide entre professionnels et amateurs. 

En bordure de Sedaví, petite ville au sud de Valence, la nuit tombe. Un bus rouge stationne devant la vitrine d’un commerce fermé. Par petits groupes, les adolescents de l’Atlético Sedaví affluent. Sac à dos noir floqué de leur prénom, ils montent dans le bus. Direction : le centre d’entraînement du Valencia CF, le grand club de football de la ville, qui évolue en première division du championnat espagnol. 

Le stade de Sedaví a été totalement détruit par les inondations en octobre dernier. « La première fois qu’on a vu les dégâts, ça nous a rendu très malheureuses », déplore Dori, joueuse de l’équipe infantil – les 12 / 13 ans. Bagues aux dents, longs cheveux noirs plaqués et coiffés en queue de cheval, elle prend place dans le bus aux côtés de ses coéquipières. 

Chaque mercredi soir depuis le mois de décembre, les jeunes licenciées font une heure de route aller-retour pour s’entraîner. Sedaví est située au sud de Valence, le centre d’entraînement du Valencia CF, au nord-ouest. La plupart des adolescentes ne seront pas couchées avant minuit, alors qu’elles doivent se réveiller à 7 heures le lendemain pour aller au collège. La gardienne de l’équipe, Gala, a trouvé la parade pour optimiser son temps : « Je dîne dans le bus au retour. Quand j’arrive chez moi, j’ai juste à aller me doucher. »

Des joueuses de l’équipe infantil (12 / 13 ans), de l’Atlético Sedaví lors de leur entraînement sur le terrain du Valence CF, le 12 février 2025. © Ambre Michon / Reportierra.

Pour ces adolescentes qui se rêvent presque toutes en professionnelles, le jeu en vaut la chandelle. « La première fois que je suis sortie de Sedaví après la catastrophe, c’était pour aller jouer au foot, se remémore Alba, ça nous réconforte d’être ensemble. »

Le Valencia CF à la rescousse

Sans les terrains prêtés par le Valencia CF – auquel est affilié l’Atlético Sedaví -, les 250 licenciés de moins de 18 ans n’auraient jamais pu reprendre leurs entraînements aussi rapidement. Le soutien de la Fondation Alfonso a également été déterminant. Son président, Fernando Roig Alfonso, est membre de la famille propriétaire de Mercadona, la première chaîne de supermarchés espagnols. Sous son égide, la fondation a offert 20 000 euros à chaque club de foot impacté par les inondations. La moitié de cette enveloppe a servi à racheter le matériel (ballons, filets, dossards, cônes, plots…) perdus dans les inondations. L’autre, à couvrir les frais de transports. Car avoir des terrains pour s’entraîner n’est pas le tout. Encore faut-il pouvoir s’y rendre. Et nombreuses sont les personnes à avoir perdu leurs voitures dans la catastrophe d’octobre dernier.

À la descente du bus au centre d’entraînement du Valencia CF, les équipes doivent encore patienter une dizaine de minutes avant de se voir attribuer un terrain. Les joueuses infantil mangent des bonbons, font des blagues, s’agglutinent autour de leurs deux entraîneuses pour faire passer le temps. « Je suis contente pour elles, contente qu’elles puissent rejouer », se réjouit Mireille Rodriguez, long K-way noir de rigueur en cette soirée venteuse. 

Ce soir, les footballeuses vont s’entraîner sur le terrain numéro un, bordé par l’autoroute. Pendant une heure trente, elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Leur objectif pour la seconde partie de l’année : intégrer le groupe « or », et jouer les matchs contre les six autres meilleures équipes de la région de Valence : « On a une chance d’y être, et ça nous motive encore plus », explique Dori.

Mireille Rodriguez (à gauche) et Vanessa Alfaro (à droite), deux entraîneuses de l’équipe infantil de l’Atlético Sedaví, sur le terrain du Valence CF, lors de l’entraînement, le 12 février 2025.
© Ambre Michon / Reportierra.

Selon les calculs du président Fernando García, l’aide de la Fondation Alfonso permettra de financer les trajets d’autobus jusqu’à la fin du mois d’avril. C’est à cette période que les travaux du terrain de Sedaví – financés, eux, par le club professionnel Valencia CF – devraient se terminer. Et où les joueurs pourront retourner jouer à domicile. 

Des joueuses de l’Atlético Sedaví s’entraînent avec Mireille Rodriguez, sur le terrain du Valence CF, le 12 février 2025.
© Ambre Michon / Reportierra.

L’entraide entre villes voisines

À treize kilomètres au nord-ouest de Sedaví, le président du club d’Aldaia, José Luis Villegas, se trouve sur le stade de foot du complexe sportif municipal, détruit par les inondations. Au loin, deux machines s’affairent en plein soleil. Les travaux se déroulent en deux temps. En ce premier mois, les services de la mairie arrachent ce qu’il reste de l’ancien gazon. Puis, une entreprise privée viendra poser le nouveau revêtement. Cette phase des opérations durera une trentaine de jours. 

Le Valencia CF finance aussi la réparation de ce stade. Leur deuxième terrain, ailleurs dans la ville, est en cours de rénovation. Lui est financé par le Villarreal, l’autre grand club de foot de la région, dont le président n’est autre que Fernando Roig Alfonso. 

José Luis Villegas, président du club de foot d’Aldaia, sur le terrain Jaume Ortí du complexe sportif de la ville, détruit par les inondations, le 11 février 2025. © Ambre Michon / Reportierra.

À l’ombre, au bord du stade, José Luis Villegas, barbe blanche, lunettes rectangulaires et sweat noir floqué du logo de son club, se remémore ce qu’il a ressenti lorsqu’il a découvert l’ampleur des dégâts : « J’ai pleuré. J’ai cru que c’était terminé pour le club. » Président depuis 27 ans, il se souvient de l’élan de solidarité, qui lui a donné la force de continuer : « Une jeune fille est venue de Saragosse [une ville à plus de 300 kilomètres] pour apporter de l’aide ! »

Les travaux réalisés par la mairie, sur le terrain Jaume Orti détruit par les inondations; à Aldaia, le 11 février 2025. © Ambre Michon / Reportierra.

Au-delà de l’aide des grands clubs, celui d’Aldaia a pu compter sur la solidarité locale. Dans la lumière de fin de journée hivernale, aux alentours de 17 h 30, des garçons d’une dizaine d’années foulent la pelouse du stade El Perdiguer, dans le Barrio del Cristo, un quartier du nord d’Aldaia. Fernando Cárcel est le coordinateur sportif. Il a été chargé de trouver des solutions pour que les plus de 750 joueurs amateurs, répartis dans 43 équipes, puissent continuer à s’entraîner : « Notre priorité était que la routine revienne le plus vite possible pour eux. » Il a fallu organiser un calendrier qui convienne à tout le monde : « Certains enfants avaient d’autres activités en plus du foot. Ils devaient pouvoir continuer les deux. »

Tirs au but, passes de ballons, match… Pendant une heure, José-Maria, 74 ans, entraîne les alevíns – 10 / 11 ans – de l’équipe d’Aldaia : « Quand on a recommencé à jouer, j’ai parlé de la Dana [dépression isolée en haute altitude, nom du phénomène météorologique] avec eux, en leur disant que ça s’était passé une fois mais que c’était fini, qu’ils ne devaient pas avoir peur. » Aujourd’hui, l’objectif est de jouer, et de progresser : « La motivation est toujours là, le niveau a même augmenté ! », se réjouit celui qui assure qu’il « mourr[a] sur un terrain de foot ».

Au bord du terrain, Emilio Perez regarde jouer ses jumeaux. Avant les inondations, l’entraînement était à deux minutes en voiture de chez lui. Maintenant, il faut rouler dix minutes pour s’y rendre. Emilio quitte plus tôt son travail pour les y amener : « Eux sont toujours aussi motivés. C’est plutôt moi qui le suis moins ! », s’exclame-t-il. Interrogés, les jumeaux Ander et Mirkkel, taches de rousseur sur le visage et queues de cheval décoiffées par l’heure de foot qu’ils viennent de jouer, ne se disent pas perturbés par le changement de lieu d’entraînement. 

L’équipe des alevins du club d’Aldaia, s’entraîne sur le terrain El Perdiguer, le 11 février 2025. © Ambre Michon / Reportierra.

Béret sur la tête, José Luis Villegas, le président du club, assiste à la séance, « ce n’est pas tout le temps comme ça, j’ai des petits enfants qui me prennent du temps ! », explique celui que tout le monde ici appelle « Pepe ». A la fin de l’entraînement, aux alentours de 19 heures, il se rend au « centre de technicisation », un complexe sportif inauguré par le club d’Aldaia, la veille des inondations. Une équipe joue provisoirement sur le terrain de foot en salle. Puis, direction le stade du collège Martínez Torres d’Aldaia, où certaines équipes s’entraînent gratuitement depuis quelques mois. La lumière des lampadaires fait ressortir la couleur verte de la pelouse. Sur ce terrain, que la Fédération de Football de la Communauté de Valence (FFCV) a dû homologuer pour autoriser les entraînements, deux équipes s’entraînent en même temps. Les bruits des tirs dans les ballons et coups de sifflets retentissent de part et d’autre de la pelouse. 

Pour continuer à s’entraîner, les durées, horaires et lieux ont été changés. Mais c’est mission accomplie. Aldaia a été le premier club à reprendre les entraînements après la catastrophe. Seulement quinze jours sans jouer pour les équipes les plus jeunes. Les licenciés sont toujours aussi motivés, et aucun enfant n’a abandonné ce sport.

Les compétitions modifiées 

En plus des entraînements, le calendrier des compétitions a aussi été bouleversé. La FFCV, qui gère l’organisation des matchs, a fait preuve de compréhension : « On a dit aux clubs de se concentrer sur les problèmes urgents. Qu’ils recommencent à jouer quand ils seront prêts, pas avant. On adaptera le classement avec des coefficients », explique Chema Mancha, directeur de la communication de la FFCV.

Dario (en rouge), joueur de l’équipe d’Aldaia, lors du match contre Torrent, le 9 février 2025, à Alaquas.
© Ambre Michon / Reportierra.

Désormais, quand Aldaia joue à domicile, c’est qu’ils jouent à Alaquas, ville voisine. D’ailleurs, cette ville accueille aussi certains entraînements des équipes d’Aldaia. Ce dimanche, l’équipe des benjamins (8 / 9 ans) d’Aldaia joue donc à domicile, contre l’équipe de Torrent. En ce midi ensoleillé du mois de février, les parents boivent des bières dans un gobelet en plastique, les petits frères et sœurs mangent un bocadillo – un sandwich typiquement espagnol. Quelques pères s’aventurent en donnant des conseils à leurs fils, en hurlant « Main ! Main ! », puis en partant l’air désespéré, tête dans les mains. À la fin du match, Dario, le numéro six, se dit « un peu énervé », car une faute qui n’en n’était pas une « a été sifflée ». José-Luis Hernandez, leur entraîneur de 21 ans, se rassure : « À partir du moment où ils ont le ballon dans les mains, les enfants jouent et oublient tout. »