Leur développement pourrait contribuer au verdissement de la troisième plus grande agglomération d’Espagne. Mais s’ils sont bien implantés dans certains quartiers, les jardins partagés butent ailleurs sur le manque de bras et de bonnes volontés.
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© Hannah Wandji Nkuimy / Reportierra.
Comme un air d’été en plein hiver dans le centre de Valence. Le soleil de début d’après-midi berce la rue de Botja d’une douce lumière à l’heure de la sieste en ce début de février. Entre les petits commerces et les immeubles anciens colorés, on distingue un espace vert entouré de grillages. À l’intérieur, des murs en brique tapissés d’œuvres de street art surplombent un grand potager. Vêtue d’une veste molletonnée bien trop chaude pour la météo du jour, Valentina déambule dans ses allées.
Neuf entités distinctes se partagent les parcelles d’el huerto de la botja, un jardin potager communautaire créé en 2018. Associations de voisinage, de réinsertion pour jeunes en difficulté, ou encore d’aide aux personnes porteuses de handicaps : chacune dispose d’une parcelle de terre qu’elle cultive à sa guise.
Dès son installation il y a deux ans, Valentina, qui est originaire d’Italie, a cherché à se rapprocher de l’une d’elles. Contrairement à d’autres jardins communautaires, notamment à Benimaclet, dans l’Est de Valence, el huerto de la botja n’a pas pour objectif de nourrir ou d’approvisionner les habitants du quartier. On y fait pousser plus de plantes que de fruits et de légumes. « Ce lieu est plus un prétexte pour tisser un lien social que pour produire », confirme l’orthophoniste de 47 ans. Mais elle le reconnaît : « Nous sommes très indépendants les uns des autres et nous nous connaissons finalement peu ».
« Les gens du quartier ne souhaitent pas partager »
En plus de ne pas beaucoup se croiser, les bénévoles sont en nombre insuffisant. Conséquence, el huerto n’est pas souvent ouvert alors qu’il devrait l’être au moins deux heures par jour, comme l’indique la pancarte apposée à la grille d’entrée. « Les gens du quartier n’y participent pas car ils ne souhaitent pas partager, mais surtout parce qu’ils veulent repartir avec des produits à manger », déplore Valentina.
Ici, le peu d’aliments récoltés est réservé à la vingtaine de bénévoles qui les vendent lors de fêtes de quartiers ou de kermesses afin de financer leur matériel. Aidé au démarrage par une subvention de la mairie, le projet est aujourd’hui auto-financé par les volontaires. Ils se réunissent une fois par mois lors d’une assemblée afin de collecter leurs dons.
« Salut, j’espère qu’on ne te dérange pas », s’exclame un jeune homme, casquette vissée sur la tête, en direction de Valentina en entrant dans le jardin. Il est accompagné d’une demi-douzaine d’adolescents qui semblent traîner des pieds. « C’est l’éducateur d’une des associations pour enfants », précise la bénévole. Elle est la moins âgée de son association, qui peine à attirer les jeunes. « Ce n’est pas facile de mettre en place des activités intergénérationnelles, surtout lorsqu’il s’agit de jardinage », poursuit-elle. « On aimerait aussi pouvoir transmettre nos connaissances sur la biodiversité et sur l’écologie », ajoute Valentina.
Un lieu presque à l’abandon
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En 2024, Valence a bénéficié du label Capitale Verte de l’Europe accordé deux ans plus tôt par la Commission européenne, en reconnaissance de « ses efforts en matière de durabilité environnementale et de qualité de vie ». La mise en place d’un cadre de vie sain et durable faisait partie des critères pris en compte. Notamment à travers le développement du réseau de potagers urbains de la ville.
Dans l’est de Valence, le très populaire parc de la Rambleta abrite lui aussi un espace végétal partagé. Au fond d’un dédale de verdure, un grillage renferme ce qui semble être un potager. Inauguré par la municipalité de Valence en avril 2024, il couvre une superficie d’environ huit mille mètres carrés censés comprendre 48 parcelles, ainsi que sept tables de jardinage adaptées aux personnes à mobilité réduite.
Pourtant, en s’approchant, le lieu semble à l’abandon. Les parcelles sont envahies de hautes herbes séchées par le soleil méditerranéen. « Nous n’avons jamais vu personne à l’intérieur, alors que nous venons ici tous les week-ends », assure une mère accompagnée de sa fille, rollers aux pieds. Contacté, l’adjoint à la mairie chargé des parcs et jardins de la ville n’a pas donné suite à nos questions concernant cet espace laissé en friche.
« Il y a quelque temps encore, je ne connaissais rien au jardinage »
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Au collège-lycée de Benlliure, non loin du centre de Valence, quelques enseignants tentent, eux, de donner belle figure au potager de leur établissement. Un extrait d’un morceau des années 80 retentit dans le hall. C’est la sonnerie qui annonce la pause. Il est 10 h 45, l’heure de la récré pour les élèves qui ont tous à la main un bocadillo (sandwich espagnol) enroulé dans du papier aluminium. Au fond de la cour, derrière le terrain de basket, un jardin d’environ 40 mètres carrés, borde la route qui se trouve de l’autre côté des grilles. Sous le soleil, un homme à la carrure athlétique se démène pour remettre en ordre un tas de grosses branches disposées dans un coin.
Alvaro est professeur de langues au collège. Il préfère passer la récréation à s’occuper du potager plutôt que de prendre son café en salle des profs avec ses collègues. « Il y a quelque temps encore, je ne connaissais rien au jardinage. Maintenant je suis accro », s’exclame t-il, un tronçon à la main. Ici, on cultive des oignons, des brocolis ou encore des carottes. Marta, professeure de mathématiques, a été mutée l’année dernière dans l’établissement. Dès son arrivée, elle a décidé de mettre la main à la pâte. « Je suis une passionnée de jardinage et de biodiversité. Cela me semblait logique de reprendre en main cet espace qui était délaissé ».
Manque de bras
Le potager de l’école ne repose de fait que sur la bonne volonté des enseignants, qui prennent pour la plupart sur le temps extra-scolaire pour s’en occuper. Seuls les élèves de ceux qui choisissent de s’y investir bénéficient de temps d’activités en son sein, soit une quarantaine de jeunes sur plusieurs centaines qui fréquentent l’établissement. Des groupes de quinze élèves supervisés par un enseignant référent, se relaient pour pour semer, arroser, entretenir les cultures et récolter fruits et légumes.
Nicoleta, collégienne de 14 ans, s’est découvert cette année une passion pour le jardinage. Elle a d’abord trouvé l’activité « difficile, puis addictive ». Sa plante préférée ? « L’aloe vera ». Marta, comme ses collègues, pointe malgré tout « le manque de moyens humains » pour entretenir le potager. Pour le pallier, l’enseignante de 46 ans, a pour objectif de faire appel, d’ici la fin de l’année, aux parents d’élèves. Mais à ce stade, ces derniers semblent d’après elle « peu motivés ».
L’établissement Benlliure fait partie de Redes de huertos escolares (Réseau de potagers scolaires), un programme lancé en 2017 par la mairie de Valence qui a permis à 29 établissements de développer des potagers éducatifs. L’initiative vise notamment à « valoriser les avantages de l’agriculture écologique et à promouvoir le contact et le respect de la nature ».
« Au début, les enfants étaient réticents à l’idée de se salir, mais une fois les mains dedans, ils adorent. C’est eux qui demandent à rester plus longtemps », témoigne une nouvelle fois Marta, entre deux bouchées de chips tirées d’un petit paquet qu’elle grignote lors des derniers instants de sa pause. La sonnerie retentit à nouveau, c’est l’heure pour les deux enseignants de rejoindre leurs classes. Alvaro retire ses gants et se précipite dans le hall : il est temps de rejoindre ses autres collègues et de reprendre ses habits d’enseignant.