De nombreux Français viennent couler leurs vieux jours dans cette localité au nord d’Alicante. Ils y forment une petite communauté d’expatriés enjoués, au grand dam de certains locaux qui déplorent leur manque d’intégration.
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10 h 30. Il fait 19 degrés et un soleil de plomb en ce matin de février sur la Costa Blanca. A Villajoyosa, une petite ville de pêcheurs de la région d’Alicante, paréos et parasols sont de sortie. C’est là, face au soleil, avachi dans une chaise de camping bon marché, que Marc, retraité de 67 ans, tient salon quotidiennement. « Je serais sous la neige actuellement si j’étais resté dans mon petit appartement en Isère. » Après avoir cessé son travail d’assistant dentaire, Marc a tout quitté pour partir au soleil. « Ici, le climat est idéal, on peut être en tee-shirt toute l’année. Après avoir travaillé 45 ans, j’ai pu faire des petites économies et on a enfin la vie qu’on voulait avoir », confie-t-il, le torse attaqué par le soleil et les pieds dans le sable.
De nombreux retraités francophones ont fait le choix de s’installer en Espagne pour y passer leurs vieux jours, et Villajoyosa en est l’exemple.
Des bonjours en français
Sur la Malecón Carrer Arsenal, qui longe la plage sur plus de 500 mètres, les retraités déambulent. Le martèlement des cannes sur les dalles rythme le pas. Des « Bonjour » en français sont échangés entre les groupes qui se croisent. Il est 11 h 30, les terrasses des cafés se remplissent.
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Au bar-restaurant Le Zeppelin, on parle français. Un groupe de quatre personnes est installé à une table. Tous alignés, vue mer et face au soleil.
La main en visière au-dessus des yeux pour se protéger des rayons, Isabelle confie être plus heureuse que jamais depuis son arrivée à Villajoyosa. « Je n’avais pas conscience que le soleil avait un aussi gros impact sur le mental », sourit-elle avec satisfaction.
« Un verre de Tinto de Verano s’il vous plaît monsieur », lance une dame à la table sans faire l’effort de s’essayer au castillan. Le serveur, lui, se débrouille avec les quelques mots de français dans son répertoire. Isabelle regarde la scène, elle murmure en gloussant : « On n’est pas trop dépaysé ici. »
Cela fait maintenant trois ans que cette retraitée s’est installée dans cette petite ville côtière de la région de Valence, principalement pour son climat. Avec une température moyenne de 19 degrés à l’année, c’est presque dix de plus qu’à Lille, la ville où elle a passé toute sa vie. « Je ne saurais même pas vous dire quand il a plu pour la dernière fois. Moi qui viens du nord de la France, je peux vous dire que ça change la vie. »
Comme ses amis autour de la table, rencontrés après son arrivée dans la ville, Isabelle a découvert cette destination sur Internet. « C’est en traînant sur les forums et les groupes Facebook que je suis tombée sur ce bon plan. » Sur certains sites, les annonces défilent : « Prendre ma retraite à Villajoyosa », « Du soleil toute l’année sur la Costa Blanca », « Pourquoi passer sa retraite à Villajoyosa ? », « Une retraite idéale à Villajoyosa ». Des conseils s’échangent, des appartements sont recommandés, et la présence d’une communauté francophone rassure beaucoup. « J’ai cru entendre qu’il existait un cercle francophone ? », demande un futur expatrié sur un forum du Routard.
Quelques restaurants plus loin, sur une terrasse presque identique à celle du Zeppelin, les cartes sont traduites en français. Sur la table la plus exposée, planté au milieu de l’esplanade, Michel, vêtu d’un chapeau de paille et de lunettes de soleil, explique qu’avoir des retraités francophones autour de lui est essentiel. « Ça permet d’être à des centaines de kilomètres de chez soi, tout en gardant un petit ancrage. » À Villajoyosa, plusieurs initiatives sont nées pour favoriser ces rencontres : la création d’un club francophone, des cours de castillan, ou encore des tournois de pétanque chaque week-end. « Ça permet aussi de se faire des amis, d’échanger nos expériences sur place et surtout de parler de nos vies d’avant. Quand je suis arrivé ici, je ne connaissais personne, à part ma femme », confie ce vieux monsieur de 75 ans.
Un peu plus haut dans la ville, agences immobilières et pharmacies sont ancrées à chaque coin de rue. Devant la devanture du cabinet Agencia Inmobiliera, semblable à tant d’autres, un couple de Français scrute les annonces affichées sur la vitrine. « Il n’est pas mal, celui-là, et pas trop éloigné de notre fourchette de prix », remarque l’homme en pointant un appartement du doigt.
« Du soleil pas cher »
La vente de logements à des francophones a explosé ces dernières années.
Pour Thomas Rouer, francophone et cofondateur d’une agence immobilière spécialisée dans la vente de biens à des Français en Espagne : « Aujourd’hui, sur la Costa Blanca, on observe un véritable engouement de la part des Français, et particulièrement chez les retraités, qui représentent une part importante de ma clientèle. »
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Thomas Rouer a vendu plus de 6 500 biens à des Français sur toute la côte espagnole en 2024. « Ce qui attire beaucoup les retraités français, c’est aussi le côté village de Villajoyosa. C’est plus authentique que Benidorm, à dix kilomètres, qui est ultra bétonnée. » L’agent immobilier insiste sur le fait que si le climat est l’un des principaux attraits, les prix constituent un argument décisif. « On peut trouver des appartements de 70 mètres carrés avec vue sur mer à moins de 200 000 euros. Ce sont des prix qui n’existent pas en France. »
La plupart des clients de Thomas Rouer sont issus de milieux modestes. « Ce sont des gens qui avaient le rêve d’habiter en bord de mer et qui choisissent l’Espagne pour le réaliser. C’est du soleil pas cher », affirme-t-il.
Assortiment de tapas, Coca-Cola et paquet de cigarettes sur la table, il est midi trente et l’heure du déjeuner pour Michel. Comme beaucoup d’autres, il considère le pouvoir d’achat comme un argument de poids dans sa décision de vivre en Espagne. « Avant, je ne pouvais pas me permettre d’aller au restaurant, c’était uniquement pour les grandes occasions. Aujourd’hui, manger ici me coûte à peine plus cher que de cuisiner chez moi en France », glisse-t-il avant d’empoigner son bocadillos de lomo, un sandwich au bœuf typique espagnol.
Si le coût de la vie est inférieur en Espagne, le pouvoir d’achat local est également plus bas. Il est 17,2 % moins élevé qu’en France. Le salaire mensuel net moyen d’un Espagnol est de 1 411 euros, contre 2 518 euros pour un Français.
Michel, lui, voulait absolument vivre à proximité de la mer. Partir de France était sa seule option. « Je paie mon appartement 450 euros. Il est un peu plus haut dans le vieux quartier et offre une vue sur la mer. Ce sont des prix que je n’aurais jamais pu trouver sur la Côte d’Azur », confie-t-il.
« La ville s’est métamorphosée »
Villajoyosa a été élue le plus beau joyau d’Europe selon un classement de 2024. Réputée pour sa grande plage de sable fin, ses façades aux couleurs vives et son historique vieux quartier de pêcheurs, c’est lorsqu’on s’écarte légèrement du bord de mer que de grandes barres d’immeubles grises font surface.
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Monique Latatse, gérante d’une pizzeria et habitante de la ville depuis trente ans, a vu au fil des années des blocs de béton surgir de terre. Sur la route qui surplombe la ville, au volant de son vieux 4×4 Mercedes couleur sable, elle montre du doigt les séries de bâtiments. « Ça n’y était pas quand je suis arrivée ici. Chaque année, on voit de nouveaux édifices, tous plus moches les uns que les autres. Ils sont en train de gommer le charme de la ville. Ça va finir par ressembler à Benidorm. »
Pour cette sexagénaire, le problème est double. « Depuis trente ans, je vois le nombre de francophones, et particulièrement les retraités, augmenter en flèche. Ils participent au surtourisme et ne font aucun effort pour s’intégrer. Ils restent entre Français et beaucoup ne s’essaient même pas au castillan. »
À ses yeux, ils ne parlent pas la langue mais plus grave peut-être, ils ne s’intéressent pas à la ville où ils se sont installés, se contentant du bord de mer. Dans le nord de la ville, Monique arpente le port de pêche. Il est 19 heures, les bateaux s’amarrent, la vente de poisson à la criée est lancée. Une silhouette fine, petit sac à main et doudoune sans manche branchée, la restauratrice détonne avec les pêcheurs en combinaison imperméable. Elle salue tout le monde. Des accolades pour certains, des signes de loin pour d’autres. Les effluves de poisson, le vacarme des treuils, les cris des marins, Monique est dans son élément. « C’est ça Villajoyosa, c’est là que tout se passe. Or la plupart des personnes qui se sont fraîchement installées ici ne connaissent même pas l’existence de ce port », fulmine-t-elle.
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À quelques kilomètres, dans le nord de Villajoyosa, les petits pavés du centre sont troqués contre de grandes avenues bétonnées et des édifices aux façades ternes. Ruben, un habitant de ce quartier, a vu sa ville se métamorphoser au fil des années. « Les Français sont quasiment tous dans le vieux quartier historique, proche de la mer, le plus sympa à vivre. J’habite maintenant en périphérie parce que les loyers sont devenus exorbitants là-bas », soupire-t-il.
L’Espagnol de 35 ans avoue ne plus retourner dans le centre, situé à 15 minutes de son quartier. « Quand je me promène dans la ville, j’ai l’impression de ne voir que des vieux, surtout depuis qu’un nouvel Ehpad a été construit en centre-ville. Villajoyosa va finir par devenir une maison de retraite géante », raille-t-il, sourire aux lèvres.