Céramique valencienne, une pierre à l’édifice pour aider les sinistrés

Après les inondations dévastatrices et meurtrières d’octobre dernier, des fleurons de la céramique de Castellon, comme Porcelanosa, proposent aux sinistrés de leur faire don de carrelage pour reconstruire leur habitation.

Carreaux offerts par des entreprises de céramique d’Onda, dans la province de Castellón, à destination des familles sinistrées, jeudi 13 février 2024. © Johanna Beeckman / Reportierra.

À Catarroja, au sud de Valence, une étrange ambiance règne dans les rues. Des bruits métalliques de marteau résonnent et des seaux de ciment et de peinture traînent à l’air libre. Les habitants ralentissent pour observer les ouvriers en pleine reconstruction des maisons et des commerces dévastés par la Dana (le nom donné en Espagne au phénomène météorologique à l’origine des inondations meurtrières le 29 octobre 2024).

Au rez-de-chaussée d’un immeuble, trois hommes un peu trapus font des aller-retours depuis leur voiture. Bras remplis, ils déchargent des caisses de carrelage qu’ils viennent de récupérer auprès de volontaires de Ceramica con corazon. Lancé à l’initiative de la mairie de la ville d’Onda, dans la province de Castellón (au nord de Valence), ce réseau de solidarité met en relation des entreprises de céramique avec des familles sinistrées. Par le biais d’une plateforme en ligne, les premières peuvent proposer des carreaux et d’autres matériaux en céramique en précisant la référence du produit et la quantité disponible en mètres carrés. Les propriétaires des maisons touchées peuvent quant à eux enregistrer leurs besoins spécifiques. Il leur suffira, pour pouvoir être éligibles à un don, de prouver les dommages causés par la Dana. « Heureusement que ça existe car tout cet argent économisé pour la reconstruction, on peut l’utiliser pour d’autres choses, comme acheter de la nourriture. Moi, je suis sans emploi et je n’aurais pas pu me le payer », confie José Soriano, ancien transporteur de 50 ans, venu aider à reconstruire la maison de sa mère, invalide, avec son frère et un ami.

José Soriano, accompagné de son frère et de son ami, chargent des caisses de céramique dans un entrepôt d’Albal, au sud de Valence, jeudi 13 février. © Johanna Beeckman / Reportierra.

Dans l’appartement familial, seule la machine à coudre en fonte trahit l’ancienneté des lieux. Le reste est moderne et les murs ont été remis à blanc pour effacer les traces du sinistre. « Tu ne pourrais pas t’imaginer comment c’était ici avant », livre tristement le fils qui inspecte la pièce, après un moment de silence. Comme pour prouver ce qu’il vient de dire, il sort son téléphone où défilent des images d’avant la catastrophe. Le salon est méconnaissable. Le jour du drame, « la boue sortait de partout, du four et de la machine à laver, et les meubles étaient retournés dans tous les sens », indique-t-il, l’air abattu. « Mais il faut tenir, se reprend-t-il. Cela fait trois mois qu’on rénove et maintenant, la maison est presque finie. »

« 80 % des maisons valenciennes ont un sol en céramique »

Si José Soriano a pu bénéficier d’azulejos (carreaux de faïence) pour refaire le sol de la véranda, c’est en grande partie grâce à la mobilisation de plusieurs entreprises d’Onda. La région est en effet réputée pour être l’un des centres névralgiques de la production de céramique industrielle depuis les années 1980 : le stade local de la ville de Villa-real a même été baptisé « Stade de la Cerámica » et est orné des tuiles locales sur tout son long. 

Si José Soriano a pu bénéficier d’azulejos (carreaux de faïence) pour refaire le sol de la véranda, c’est en grande partie grâce à la mobilisation de plusieurs entreprises d’Onda. La région est en effet réputée pour être l’un des centres névralgiques de la production de céramique industrielle depuis les années 1980 : le stade local de la ville de Villa-real a même été baptisé « Stade de la Cerámica » et est orné des tuiles locales sur tout son long.

Ce n’est donc pas un hasard si ce secteur a accepté de prêter main forte. Le marché de grès cérame pèse en effet lourd dans l’économie espagnole, rappelle le Français Xavier Laumain, architecte du patrimoine, installé en Espagne, et spécialiste de la céramique Nolla (un type particulier de céramique décorative qui provient de la région de Valence). « 80 % des maisons valenciennes ont un sol en céramique, précise-t-il. C’est le matériel le plus adapté ici aux températures et, en plus, il ne s’use quasiment pas contrairement à la pierre ou au bois. »

Depuis le lancement de l’initiative, les sinistrés ont été nombreux à solliciter l’aide de Ceramica con corazon. Marko Ramirez est l’un d’eux. Ce même matin de février, il était le premier à se garer devant l’ancien entrepôt de meubles SI ME CO, dans la commune d’Albal, au sud de Valence. Quelques minutes plus tard, allait débuter une distribution de carreaux organisée par Ceramica con corazon.

« Sans cette aide, ça aurait été impossible et invivable »

Vêtu d’un jogging noir et rouge et d’une polaire bleue marine, l’homme de 52 ans venu d’Aldaia, une commune voisine, fait partie des 250 familles sélectionnées pour bénéficier des dons de carrelage. Déjà prêt à remplir sa fourgonnette, louée pour l’occasion, ce père qui élève seul sa fille s’aventure dans la pénombre du hangar où flotte une odeur d’essence et de moteur. Accompagné de Gloria Calzada Pérez, la bénévole de permanence chargée de la logistique et de l’accueil des familles, il scrute les étalages. Devant eux, une variété de carreaux sobres pour certains, plus colorés pour d’autres avec des motifs floraux. « Pour Marko, ce sont ces 49 caisses de carrelage », précise Gloria Calzada Pérez, qui lui tend la tuile couleur blanc cassé pour avoir son avis. « Et c’est lourd, précise-t-elle. Une caisse pèse déjà 8,5 kilogrammes. Donc dans une simple voiture, ce n’est pas possible », conclut-elle, après un rapide calcul sur son téléphone.

Gloria Calzada Ramirez prépare la distribution de carrelage en céramique, la veille, avec un autre volontaire de Ceramica con Corazón. © Johanna Beeckman / Reportierra.

Après avoir rempli avec précaution la camionnette, Marko Ramirez a déjà le visage plus détendu. « Sans cette aide, ça aurait été impossible et invivable. Je suis retraité, j’ai une fille et je n’ai plus d’argent pour refaire la maison », confie, soulagé, celui qui a découvert Ceramica con corazon sur une boucle whatsapp. Alors qu’il est encore occupé à abattre les cloisons de sa maison gorgée d’humidité, l’ancien chauffeur se réjouit de voir les choses se reconstruire progressivement. Impatient de pouvoir retourner vivre chez lui et de commencer à poser les 75m2 de carrelage au sol, il habite pour l’instant chez sa sœur qui l’héberge depuis quatre mois. « Nous sommes une famille mais je suis quand même mieux chez moi, seul », plaisante-t-il, en ajoutant qu’il espère que les travaux seront finis d’ici l’été.

Marko Ramirez, 52 ans, a tout perdu dans l’inondation de son rez-de-chaussée de la région de Valence en octobre 2024. © Johanna Beeckman / Reportierra.

Manque de coordination

Pour bénéficier de ces dons, les sinistrés ont dû justifier leur situation en remplissant un formulaire sur le site de la mairie d’Onda. De cette manière, ils prouvent qu’ils viennent bien des zones directement affectées par la catastrophe. Ces particuliers doivent également documenter, par des photos, les dégâts matériels et préciser l’usage qu’ils feront de ces carrelages (cuisine, sol, salle de bain), les stocks disponibles étant limités face à l’ampleur des inondations.

Huit entreprises de céramique, dont Halcón Ceramicas – qui figure parmi les 25 plus gros producteurs au niveau mondial – soutient actuellement cette initiative d’aide. Mais malgré cette générosité, l’élan de solidarité se heurte à un problème de logistique. Le poids des carreaux nécessite en effet un mode de transport adapté. Et les frais qui en découlent ne sont généralement pas pris en charge par les fabricants. La mairie d’Onda se trouve ainsi parfois contrainte de refuser des livraisons, faute de moyens pour les distribuer dans les zones les plus touchées du sud de Valence. Et le formulaire d’aide, lancé en novembre peu après les inondations, a dû être refermé rapidement. « Une fois qu’on aura réglé ce problème, nous allons le rouvrir », assure toutefois Elena Diaz, responsable du département Industrie de la mairie d’Onda, qui déplore le manque de coordination avec les autres municipalités.

Le peuple aide le peuple

À Albal, aux alentours de 13 heures, dans l’ancien entrepôt de meubles vidé depuis les inondations, la distribution de carreaux se termine doucement. Gloria, la bénévole dévouée, scrute son ordinateur pour vérifier les stocks. « Celui-ci, bleu et blanc, il ne m’en reste plus », annonce-t-elle au couple derrière elle. Luis, le mari, originaire de Paiporta, l’une des communes les plus touchées par les inondations, réagit avec une pointe de déception. « On s’en doutait, mais c’est dur. » La gorge de ce professeur de musique se noue lorsqu’il évoque sa nouvelle réalité. « Même après quatre mois, on est encore au début. Il faut tout refaire : les murs, laver… La situation est très difficile à gérer émotionnellement, car à certains endroits, tout a été détruit et à d’autres, c’est intact. Quand on sort de Paiporta, on a l’impression d’être dans un monde parallèle », confie-t-il le regard baissé. Rejoint par sa femme, il continue son repérage à la recherche de carrelage pour leur salle de bain. La situation est d’autant plus dure à accepter pour ce couple qu’il venait tout juste de terminer les travaux dans leur maison.

Dans l’allée principale, les regards nerveux des familles suivent Gloria, qui court d’un bout à l’autre pour répondre aux appels téléphoniques incessants. Sur sa feuille, elle barre méthodiquement les noms des douze personnes venues aujourd’hui. Chacun, en partant, la félicite pour son dévouement. « Le peuple aide le peuple », lance-t-elle simplement, en écho au slogan scandé par des milliers de manifestants après les inondations, avant d’ajouter avec son ton chaleureux : « Ça a toujours été ainsi à Valence. »