À Paiporta, municipalité qui s’est retrouvée à l’épicentre des inondations, se sont implantées les Brigades volontaires, créées par des membres du parti communiste. Les bénéficiaires comme les bénévoles qui y travaillent ne semblent pourtant guère y prêter attention.
Ce matin, comme chaque jour de la semaine, la grille jaune du local des Brigades volontaires – Brigadas Voluntarias en espagnol – s’écarte à 9 h 30. Le bruit du métal coulissant signale l’ouverture du centre aux habitants de la ville. Ici, chacun peut se procurer des biens de première nécessité.
Le collectif est implanté dans la rue Josep Iturbi, à deux pas du barrage depuis lequel s’est déversé le torrent d’eau, cette nuit-là. Devant le 3 bis de la ruelle, le trottoir est toujours occupé par une longue file d’attente. Il est onze heures. Plusieurs personnes sont déjà passées. Dans la queue, une majorité de femmes et quelques hommes âgés attendent. Patiemment. Le soleil n’est pas encore au Zénith, il fait frais. Munis de grands sacs ou de chariots de courses, ils viennent tous faire le plein de nourriture, de produits d’hygiène et de nettoyage.
Une organisation engagée
À l’entrée, une femme avec un pull Guns’N Roses est installée derrière une table en plastique, un radiateur électrique à ses pieds. Raquel Rubio, 47 ans, bénévole pour les Brigades, reçoit les bénéficiaires un par un. « De quoi avez-vous besoin ? », demande-t-elle à une dame âgée. « D’eau, de lingettes… », commence la vieille femme tandis que Raquel liste les besoins sur un bout de papier. Elle est la coordinatrice de ce petit local : « Nous recevons 200 personnes par jour. Et les gens peuvent revenir autant que nécessaire, ils peuvent toujours manquer de quelque chose. C’est instinctif pour moi de lutter et de venir en aide aux gens, affirme-t-elle depuis son poste. »


Au-dessus de l’entrée du local, une affiche passe presque inaperçue. Un poing tendu se dresse au milieu. La pelle et la raclette ont remplacé la faucille et le marteau, mais pas de doute : ici, on est chez les communistes. Du moins dans ce local, car la mairie est tenue par les socialistes. « Nous souhaitons que le Parti communiste (PC) soit visible, que les gens voient que nous sommes présents et que nous luttons pour leurs droits », revendique Raquel.
Les brigades ont vu le jour au lendemain des inondations, le 30 octobre. « Les secours n’arrivaient pas, l’État était aux abonnés absents, l’unique solution était d’organiser les volontaires, estime Javier Parra, membre du parti. J’ai donc créé une affiche avec un QR code menant à un groupe WhatsApp pour pouvoir coordonner les volontaires selon les aides nécessaires sur le terrain », se souvient le militant.
Dans le centre de distribution, pas question de cacher l’origine du mouvement – des autocollants reprenant le logo sont collés un peu partout, mais on ne parle pas de politique et pas question non plus de se priver de bénévoles qui ne partagent pas les mêmes idées. « La logistique est celle du Parti communiste, mais les volontaires ne sont pas nécessairement des adhérents au parti », constate Raquel.
Des volontaires indépendants
Un homme aux cheveux blancs, une boucle à l’oreille gauche, récupère l’une des listes auprès de la responsable, avant de se rendre dans l’arrière de la boutique, une cagette noire à remplir au bout des bras. Arpentant les trois salles, il saisit un paquet de pâtes, un produit ménager et deux bocaux de pois chiches. « Personnellement, je suis socialiste, mais je ne me soucie pas de la politique dans cette situation, affirme-t-il. Ce que je fais pour les habitants de la ville, je le fais avec le cœur. »


Un à un, il coche les produits de la note, au fur et à mesure qu’il les dépose dans le bac. José Angel est le doyen de l’équipe. Ses camarades l’appellent « Pepe ». Il n’habite pas à Paiporta, mais malgré ses 77 ans, il fait une heure de trajet en transports en commun, matin et soir, pour venir prêter main forte. « Je rentre fatigué mais je suis heureux de revenir apporter mon aide le lendemain », assure le senior.
Un deuxième volontaire, vêtu d’une veste noir sans manche, franchit le rideau qui sépare la pièce d’accueil de l’espace de stockage. Lui aussi tient un bout de papier annoté par Raquel. C’est Luis. Aucun lien avec le PC pour lui non plus. Cet entrepreneur argentin était de passage en Espagne. Sa mère est la première à l’informer de la situation à Valence. Face à l’urgence, il n’hésite pas. « J’ai obtenu le contact de Raquel sur une mission bénévole », c’est comme ça qu’il se souvient être arrivé ici.


L’un après l’autre, Luis, Pepe ainsi que Ximo – le troisième volontaire qui arpente le local munis d’une liste – se relaient à l’entrée pour aider les bénéficiaires à remplir leurs sacs. Ici, tout vient de dons. « Environ 60 % viennent du Parti communiste et 40 % de donateurs indépendants », estime Raquel.
Plusieurs fois par semaine, des camions chargés de provisions font leur arrivée. « Quand je vois le camion d’approvisionnement, je suis heureux comme un petit garçon, confie Ximo. Il n’y a rien de pire que de dire à quelqu’un que nous n’avons plus ce qu’il lui faut », avoue l’homme de 58 ans. Et pour cause, à peine réceptionnées, les denrées sont aussitôt redistribuées. Ce sera le cas de ces centaines de bouteilles d’eau mises dans les stocks ce matin : « dans cinq jours il n’y en aura plus », constate Luis.
L’entraide comme conviction commune
Des dons, mais aussi des coups de main. Et même de marteaux. À quelques rues au sud du local, de l’autre côté du barrage, résonnent les échos de travaux tout juste entamés. Ils proviennent du numéro 52, rue San Josep. Dans ce qu’il reste de cette maison, plusieurs personnes se consacrent à la reconstruction. C’est le cas de Raphaël qui se charge du décapage des murs qui ont été ensevelis sous l’eau boueuse. Ce Français de 32 ans est informaticien. Il y a quelques jours seulement, il a décidé de se rendre à Valence pour apporter son aide. « J’ai écouté la petite voix qui me disait que je ne pouvais pas rester sans rien faire face à la situation. Je m’investis, car tout le monde a besoin d’aide, mais j’agis hors parti politique », précise le jeune homme.

De son côté, Rafa, 25 ans, a découvert les Brigades après un mois de volontariat autonome à Paiporta. « Ils m’ont très bien reçus ici. J’ai aimé leur façon de coordonner et de travailler avec la population, alors je suis resté. Pour autant que je sache, il n’y a pas d’idéaux politiques. Nous venons de notre plein gré, pour aider et voir les personnes âgées à nouveau heureuses. »
Maçon de profession, il vit dans le nord de Valence qui a été épargné par les inondations. « Je vis de l’autre côté où il ne s’est rien passé », précise-t-il, presque avec une note de culpabilité. En remontant la grande rue de Mestre Palau, vers un bâtiment en ruines où l’un des derniers corps a été retrouvé, Rafa rencontre Adela – une femme âgée qui avance à petits pas, aidée de son déambulateur. Elle a perdu son fils dans les inondations. « Tu peux me donner ton numéro et moi, je te donne le mien, propose Rafa, d’un ton bienveillant. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu m’appelles. »

À bord de sa voiture, Mery mène aussi ses missions à l’extérieur du siège des Brigades. « Je me déplace au domicile des personnes âgées ou à mobilité réduite », explique la sexagénaire qui travaille à la Mairie. Elle non plus n’est pas membre du Parti. « Quand je dis aux gens d’où viennent les dons, certains restent pensifs mais la plupart ne s’en soucient pas. Ils sont simplement reconnaissants qu’on leur vienne en aide », conclut la bénévole. Son véhicule comme outil quotidien, elle se charge notamment de l’acheminement de nouveaux meubles pour les sinistrés. En route pour rendre visite à Alejandro – un habitant de 71 ans dont la maison est entièrement à refaire – elle s’amuse d’un tabouret installé sur le siège passager : « c’est mon copilote ! » Sur place, des nouveaux meubles encore emballés – un sofa, des commodes ou une boîte remplie d’ustensiles de cuisine – trônent au milieu des pièces vidées dans lesquelles les traces d’eau boueuse colorent encore les murs. « Il manque encore des armoires », réfléchit Alejandro, « et des meubles de bain », se rappelle Mery. Comme pour les biens de première nécessité, le mobilier provient d’indépendants ou de membres du PC, à travers le pays. Plus récemment, un hôtel en pleine rénovation lui a permis d’en distribuer à trois familles.

S’établir auprès des habitants
Installé dans un café, à quelques pas du local communiste, Javier Parra qui se présente comme le « chef » des Brigades, envisage le long terme. « Nous ne tenons pas de discours politiques, mais nous sommes là pour organiser l’aide. L’objectif est de pérenniser ces brigades, assure-t-il avant de prendre une première gorgée de bière. À présent, il nous est plus facile de parler avec le peuple. »
La fin de la journée approche. Maria-José et Vincente franchissent les portes du local. Tous deux membres du parti, ils déposent des affiches sur le bureau de Raquel. « Nous allons les coller dans les rues pour annoncer une conférence ». Au programme : dénoncer les responsables politiques de la catastrophe et parler des actions du parti. Surtout, être présents.